vendredi 4 septembre 2015

Tamata

Il y a quelque temps, j'ai rencontré à Raiatea Véronique, la dernière compagne de Moitessier, venue ici pour entretenir et remettre à l'eau Tamata, le dernier bateau du grand marin. Nous étions voisins de ponton à la marina du CNI, où j'étais pour quelques menus travaux.



Surmontant ma timidité, je l'ai conviée un soir à venir partager le ti'punch vespéral que j'étais accoutumé de prendre avec avec mon copain Benjamin.

Véronique et Ben


Au cours de l'agréable conversation que nous avons eue, elle nous annonça qu'elle souhaitait faire une virée dans les Tuamotu, avec Tamata, mais qu'elle ne se sentait plus la force physique de partir en solo. Avant même d'y avoir réfléchi, je lui annonçai que si elle cherchait un matelot, j'étais volontaire, que je serais heureux et honoré de naviguer sur son bateau. Deux jours plus tard, je quittai la marina, non sans lui avoir renouvelé mes offres de service.
Une semaine passa. Puis deux. Je rongeais mon frein. Pas de nouvelles. Je finis par penser qu'elle avait eu d'autres propositions qu'elle avait jugées plus intéressantes que la mienne et commençais à regretter de m'être, une fois de plus, bercé d'illusions.
Puis, un beau matin, alors que j'étais à Huahine, je reçus un sms de Véronique me demandant si j'étais toujours disponible pour partir faire un tour. Mon sang ne fit qu'un tour et le lendemain j'étais de retour à Raiatea. Le surlendemain, j'embarquai sur Tamata ! Les illusions se concrétisent parfois.
L'objectif initial était l'atoll d'Ahe, où Bernard avait vécu quelques années avec son bateau précédent, Joshua, mais où Tamata n'est jamais allé. Cependant, le temps qui restait imparti à Véronique avant son départ pour la France était trop limité, nous nous sommes donc dirigés sur Tikehau, un atoll plus proche. J'y ai déjà séjourné en novembre-décembre dernier, avec mes amis de Moana, et j'en gardais un souvenir ébloui.
La navigation aller fut un régal, 2 jours de travers, f 4-5, sous grand-voile, trinquette et foc de route.



Météo peu agréable, nuages, pluie, nombreux grains sous lesquels il fallait régler voire réduire la voilure, malgré tout il s'en fallut de peu que nous arrivions en 2 jours, malheureusement, une rotation du vent à l'est nous contraignit à louvoyer et nous dûmes renoncer à entrer dans le lagon ce jour ci, faute d'un soleil assez haut pour voir les patates de corail au moment du mouillage. Nous passâmes donc la nuit à tirer des bords plats devant la passe et entrâmes le lendemain matin, sans encombre.
Deux jours et deux nuits au mouillage, à ne rien faire sinon se reposer et profiter du lagon avec juste un peu de bricolage, puis deux jours et deux nuits au quai du village pour nous mettre à l'abri d'un coup de NE, qui fit fuir le seul autre autre voilier que nous ayons croisé.

Tamata au mouillage

Tamata au quai


Puis il fut temps de partir, pour profiter d'une fenêtre météo favorable et ne pas mettre Véronique en retard sur son planning. Retour en 46 heures, sur deux bords de grand largue, avec un ciel beaucoup plus dégagé nous permettant de profiter du soleil, de la Lune quasi-pleine et des étoiles qui n'étaient pas étouffées par la clarté lunaire, la constellation d'Orion, la Croix du sud... Magnifique !
Passe embouquée à la voile, puis tour de Tahaa sur 3 jours, Véronique faisant sa tournée d'au revoir auprès de ses amis, avant de rejoindre Raiatea et de retrouver Bara Gwin.



Que dire de Tamata ? C'est un bateau, certes ! Mais c'est l'achèvement du bateau (puisque le dernier) dans l'esprit Moitessier, qui peut se résumer en un mot : simplicité. Simplicité de conception qui débouche sur la simplicité de fabrication. Tout doit être simple à utiliser. Tout doit être simple à réparer ou à remplacer. A titre d'exemple, le mât n'est autre qu'un banal poteau télégraphique en bois,



les haubans ne sont pas sertis mais tenus par des serre-cables autour d'une cosse en cœur



et tout est à l'avenant. L'intérieur est « open space », pas une cloison, pas une porte qui risque de grincer ou de se coincer.



Pas de cagoinsses qui puissent se boucher, un seau hygiénique (qui ne sert qu'à ça, je vous rassure!) est tout aussi efficace. Pas d'électricité à bord, hormis une petite batterie pour la musique, alimentée par un panneau solaire mobile, le moteur démarre à la manivelle, il sert également d'échelle de descente, il est refroidi par air et son échappement se trouve dans le cockpit !



Mais pour le peu qu'il sert, ce n'est pas un problème. Nous ne l'avons mis en route que 3 fois et l'une d'entre elles ne fut qu'une précaution dans une passe. Tout le reste des manœuvres s'est fait à la voile. Chapeau, Véronique !
Pas de guindeau pour relever le mouillage, seulement 2 winchs pour 3 drisses et 5 écoutes... Tout, ou presque, se fait au palan amovible.
Tamata est donc rustique et spartiate, mais c'est un bateau véloce (sauf dans les petits airs, car un peu lourd), raide à la toile, stable sur sa route (quille longue) et parfaitement rassurant en toute circonstance.

Mais Tamata n'est pas qu'un bateau, c'est également un mythe. Le dernier bateau de Moitessier, entretenu en l'état par Véronique, véritable conservateur de musée, mais pas un conservateur intégriste, elle cherche toujours à améliorer le bateau pourvu que ce soit « dans l'esprit ». Ainsi, elle souhaitait améliorer le système de prise de ris. Je lui suggérai de coudre des oreilles de chien (pour un véto, ça s'impose...), accessoire qu'elle ne connaissait pas, et elle accepta aussitôt car cela pouvait se faire à bord avec des matériaux de récupération. J'ai donc eu l'honneur d'utiliser la boite à couture de Moitessier, celle qui lui servit déjà lors de « La longue route ». Quand on sait ce que représente, pour un marin, sa boite à couture...



La paumelle de Moitessier
Avant
Après (quelles belles oreilles !)


J'ai également connu l'émotion d'utiliser la thermos qui l'accompagnait sur Joshua, son palan, qu'il nommait Attila car rien ne lui résistait, ainsi que son réchaud à pétrole Primus, baptisé Caroline.

La thermos
Caroline


Chaque geste, chaque objet, chaque manœuvre, chaque conversation avec Véronique, me donnait l'impression de marcher dans les pas d'un géant. Quelle leçon d'humilité de réaliser que les bottes sont vraiment très grandes...

L'impression que me fit cette rencontre et cette navigation fut forte, si forte que je me sens moralement tenu de publier cette page, même si le cœur n'y est pas vraiment.
Conseil de lecture (pour une fois) : J'invite ceux qui ne connaissent pas Moitessier à lire certains de ces livres. Commencer par « Un vagabond des mers du sud », continuer avec « La longue route », puis « Tamata et l'alliance ». Les inconditionnels pourront ensuite lire ses autres livres, moins aboutis, selon mon humble avis.








4 commentaires:

  1. Naviguer sur Tamata... qui aurait cru ça possible ? tu as réalisé un joli rêve, sur les traces de Bernard, et je rêve avec toi à distance. Pour quelques jours, entrer dans son monde, sa vie, son voilier, en apprendre plus sur lui, sur le marin, sur l'homme, bravo ! J'aurai adoré être à bord avec vous, un jour peut-être... Bisous, et bonjour à Véronique. Fanny de MOANA

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  2. Mille mercis d’avoir songé à partager l’émouvante intimité qui nous rapproche des récits qui ont bercé nos plus beaux rêves. Merci à Véronique, dont l’amour donné à maintenir Tamata vivant, complète toute la beauté et les photos de votre récit.
    Affectueusement de ma mémoire.

    Dominique Perruchon

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  3. Repose en paix Renaud! Une pensée de ta famille lointaine du Canada. J'espère que tu as trouvé la quiétude que tu cherchais.

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  4. Une pensée au mystère de la vie, si belle et cruelle. Tellement courte qu'on la termine pour ne pas la terminer.

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